Quelle est la genèse de cet ouvrage ?
À travers ce livre, je souhaitais exprimer une sensibilité par rapport à un endroit, partager une vision esthétique de notre travail. Au-delà du livre de cuisine, c’est un objet vivant autour du vivre ensemble. Cette publication, tout comme nos établissements, est rendue possible grâce au travail d’une équipe d’une centaine de personnes. Elle reflète notre quotidien – sans triche ni esbroufe – et rassemble les souvenirs d’un travail de troupe. Pour les textes, je n’imaginais pas travailler avec quelqu’un d’autre que Ryōko Sekigushi dont j’admire la plume, la poésie et la sensibilité. Il en va de même pour le travail de la photographe Anne-Claire Héraud. Lors de l’élaboration de ce projet, nous avons partagé une forme d’intimité ; pendant quatorze mois, nous nous sommes réunis plusieurs jours tous les deux ou trois mois, un travail sur le temps long.

Vous écrivez : « Ce livre raconte les correspondances entre une cuisine et un territoire, entre l’homme et la nature. » Pourquoi avoir choisi pour titre Correspondances ? Que signifie- t-il pour vous ?
Ce mot est chargé de sens. Il porte en lui la correspondance d’un enfant du pays, mon histoire avec ce paysage. La correspondance, c’est le lien avec les gens qui viennent nous voir, mais aussi la relation entre la cuisine et les hommes qui façonnent le territoire. Bien sûr, le terme de “correspondances” explore notre attachement à la nature et présente la manière dont nous dialoguons avec elle. Ce terme reprend également le titre d’un poème de Charles Baudelaire, publié dans Les Fleurs du mal, qui explore le rapport entre l’homme et la nature. De manière plus terre à terre, j’avais envie d’exposer notre manière de manager les équipes et de montrer comment nous faisons participer nos collaborateurs à la vie de l’entreprise.
Dans les premières pages de votre livre, vous écrivez : « Au début de tout, un liquide. C’est mon ingrédient premier. » Que représente pour vous ce composant ?
C’est un élément qui me fascine, il est vertigineux. Si on tord le temps, nous ne sommes qu’un micro-grain de sel dans l’histoire de cette terre. Le liquide est à l’origine de toute vie. Plus globale- ment, les océans représentent 97 % de la planète, et pourtant les hommes n’en ont exploré qu’une infime partie. Au-delà de cet élément mer qui me fascine, le liquide renvoie pour moi aux notions de vivant et de digestibilité. En filigrane, la notion de liquide rappelle l’horizontalité. Si vous versez un liquide dans une assiette, il cherchera toujours la position horizontale. En cuisine, cet élément s’inscrit dans mon schéma créatif : une vinaigrette longue, un bouillon… Le liquide apporte de la longueur en bouche. Ce qui m’anime, c’est toujours la dernière bouchée de l’assiette, celle que l’on va prendre à la cuillère, quand tous les éléments ont dialogué ensemble. C’est un au revoir, et elle permet de savoir si une assiette fait sens ou non.
Avant d’épouser une carrière de cuisinier, vous avez été officier dans la marine marchande et vous restez un grand pratiquant de kitesurf. Quelle relation, au sens large, entretenez- vous avec la mer ?
Ma force, c’est ce que m’apporte la mer. Me retrouver dans l’eau me fait relativ- iser sur notre rôle et me fait vivre. Je dois entretenir ce lien. Dans ma cuisine, la connexion forte entre mes plats et la mer m’incite au respect. Je ne parle finalement que très peu de la notion d’engagement éthique dans cet ouvrage car j’estime qu’il ne doit être en aucun cas un argument commercial, mais il est certain que la relation étroite que nous entretenons avec le milieu marin nous invite au plus grand respect.


J’estime que c’est une évidence de ne travailler qu’avec les poissons et crustacés qui nous entourent, ceux dont les stocks ne sont pas menacés. À la personne qui s’attable chez nous, nous devons proposer le meilleur dans le respect du vivant. Ainsi, en hiver, lorsqu’il n’y a plus de ligneurs qui travaillent, nous ne proposons plus de poisson de ligne.
Un chapitre de votre livre est consacré aux jardins. Comment ceux qui cernent le château influent-ils sur votre cuisine ?
Mes parents ont planté les premiers arbres en 1992 lorsqu’ils ont acheté le château Richeux. Depuis, les jardins n’ont eu de cesse d’évoluer. C’est une chance qu’ils nous entourent. Leur présence nous donne un tempo précis de la nature, qui est différent chaque année. Nous ne sommes pas du tout autosuffisants car il ne s’agit pas de perdre le lien que nous avons avec les maraîchers installés aux alentours.


On veille à ce que tous les cuisiniers aient de temps en temps une main dans la terre ; cela induit un respect tout autre lorsqu’ensuite on travaille le produit. Ces potagers et vergers sont une merveilleuse palette de travail pour composer, la contrainte de la saisonnalité et de la disponibilité nous poussant à la créativité constante. Il faut également être suffisamment en lien avec la nature et attentif pour savoir quand servir un fruit ou légume à son apogée. Dans cette configuration, tous les produits sont nobles, car ils sont servis au moment où ils sont le meilleur.
Que représente pour vous l’acte nourricier ?
C’est un acte d’amour par rapport à un prochain, ce n’est pas anodin. Donner, c’est presque égoïste ; c’est plaisant de procurer du bonheur aux gens, de leur proposer des parenthèses enchantées dans leur vie. Nourrir, c’est prendre soin, sincèrement, et raconter une histoire. Et cela débute bien avant de s’attabler ; c’est comme lorsque l’on reçoit de la famille ou des amis chez soi.

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Article à retrouver dans le HOME Food n°4 (hiver 2024), disponible en kiosque
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