C’est en Alsace, dans un petit village de 700 habitants, que Pauline Lemberger a grandi ; une ferme familiale connectée aux saisons, où l’on cueillait les pissenlits au printemps, les quetsches en été, les châtaignes en automne et les noix en hiver. Une enfance façon Petite Maison dans la prairie que Pauline romantise volontiers, tant ce paysage a marqué ses papilles et renforcé son lien avec l’artisanat. Pendant ses études – les arts appliqués à Strasbourg, puis le design industriel à l’Écal (École cantonale d’art de Lausanne) –, Pauline prend la mesure de son héritage rural : « Ça m’a rendue fière et j’ai eu envie de le partager », raconte-t-elle.
En Suisse, elle travaille au marché le week-end et commence naturellement un petit business de lunchboxes pour ses copains de promo, qu’elle livre chaque matin à vélo : « Comme je trouvais le design industriel très contraignant, la cuisine est devenue mon refuge créatif. J’aimais son côté éphémère et spontané. Je me disais :“Au pire, si c’est pas bon, ce sera meilleur demain !” », s’amuse-t-elle. Plutôt que de suivre une formation dans la restauration qui briderait sa créativité, Pauline préfère teinter ses projets en design de clins d’œil culinaires, jusqu’à consacrer son mémoire de fin d’études à la street food.
Bouchée Double
Fraîchement diplômée, elle lance en 2015 le studio créatif Bouchée Double en duo avec sa sœur jumelle, et pose en même temps ses valises à Bruxelles. « Après trois ans à un rythme effréné, j’ai continué toute seule, en mode Bouchée Simple », rigole Pauline, qui ne ralentit pas la cadence pour autant, s’entoure de stagiaires et recrute sa première employée pour continuer à faire équipe. « Je travaillais jour et nuit et j’en voulais toujours plus. La cuisine a ce côté omniprésent ! J’allais dans le monde entier pour des résidences ou des pop- up. Kyoto, Copenhague, Guadalajara… Je n’avais aucune retenue parce que Bouchée Double me remplissait. C’était galvanisant ! » Partout, tout le temps, Pauline mitonne une cuisine colorée qui lui ressemble, généreuse dans l’élan et la présentation. « J’aime sentir que chaque
plat est une invitation », complète-t- elle. En écho à son parcours de designer d’objet, ses assiettes s’articulent en un enthousiaste équilibre de textures, couleurs et matières. Des herbes par- ci, du zeste par-là, et pourquoi pas un peu de croquant sur des choux rôtis ou de simples pommes au four.
« Quand il y a trop de possibilités, le retour à la cuisine alsacienne me rassure ! Revenir à ce territoire que je connais, ça m’ancre et j’évite ainsi l’écueil d’en faire toujours plus. » En 2020, dans une euphorie post- Covid, elle rencontre Pierre Millour qui l’invite en résidence chez Liesse, son restaurant bruxellois. Guidée par une profonde envie de revivre et épaulée par son équipe ainsi que toutes ses copines alsaciennes, elle enchaîne tartes flambées, bretzels, spaetzle et croquettes au munster pendant près d’un an, plus heureuse que jamais de faire sortir l’Alsace de ses frontières.
« Ce que j’aime dans la cuisine, c’est son côté généreux, rincer les gens comme si c’était des copains ! », s’enthousiasme Pauline. Mais aussi joyeuse soit-elle, cette intense expérience ne manque pas de rappeler à la jeune cheffe le lot de fatigue et de répétition inhérent au monde de la restauration.
Ralentir la course
« J’étais persuadée qu’en ayant un enfant, je pourrais travailler comme avant, mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça ! La maternité m’a aidée à me recentrer », nous raconte Pauline qui, en 2022, donne naissance beaucoup plus tôt que prévu à la petite Frida. La jeune maman est alors parachutée sans transition dans un nouveau quotidien : la gestion d’un traumatisme, l’apprentissage de ses limites et la délicate reconstruction.
« Avant, je vivais jour et nuit pour Bouchée Double. Je trouvais de la satisfaction dans la quantité et j’étais incapable de dire non à de nouvelles collaborations. Puis d’un seul coup, ma priorité, c’est devenu ma famille. » Celle qui rêvait d’être une business girl voit son identité se métamorphoser : « La maternité me fascinait. J’avais envie de cuisiner pour des femmes enceintes ; le post-partum, l’allaitement… au début, je ne me l’autorisais pas, car c’était contradictoire avec ce que j’avais projeté de moi. Je me suis toujours définie par ce que je faisais et d’un seul coup, je faisais beaucoup moins ! J’allaitais juste mon bébé ! ». Jour après jour, Pauline apprend pourtant à embrasser avec bienveillance cette nouvelle phase de vie, plus calme et propice à la réflexion.
Rythme de croisière
Alors que sa tribu est sur le point de s’agrandir à nouveau, la maternité ne cesse d’emmener Pauline sur de nouveaux territoires : « En ce moment, je ressens une forte envie de dessiner. Découvrir que le désir de travailler est cyclique, je trouve ça super-rassurant ! Rien n’est figé, tout est mouvement », se réjouit la créative qui cette année, a recouvert de ses personnages débonnaires la vitrine d’une boutique, participé à un pop-up liant cuisine et illustration, et lancé plusieurs collections de céramiques illustrées en collaboration avec la poterie Siegfried- Burger & Fils. Lassée d’être en coulisses sansvoirlesgensserégaler,Paulinea changé de navire.
Elle anime désormais des ateliers culinaires et enseigne pour la troisième année consécutive le food design à l’Académie royale des beaux- arts de la ville de Bruxelles : « Avec l’enseignement, je retrouve ce lien à la parole, aux gestes. La diversité de parcours et d’envies me stimule. En termes d’énergie, c’est beaucoup plus circulaire. » Si dans cette grande traversée, l’univers de Pauline n’a pas vraiment changé, il est certain que désormais, le plaisir de cuisiner compte autant que celui de redécouvrir l’alimentation à travers les mains et les yeux de Frida, qui aime déjà se régaler de kakis et graines de grenade.
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@bouchee.double
@paulinelemberger
Découvrir les recettes de Bouchée Double :
Recette : Riz au lait, coings & potimarron au sirop safrané
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Article à retrouver dans le HOME Food n°4 (hiver 2024), disponible en kiosque
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