Tu as un parcours plutôt singulier. Peux-tu nous raconter comment tu en es venue à la pâtisserie végétale, puis à initier Luna Création ?
Depuis mon enfance, j’ai toujours voulu intégrer les Beaux-Arts. C’est la pluridisciplinarité de cette école qui m’attirait, la possibilité d’explorer différents médiums. Parallèlement à ces études, passionnée par la décoration, j’ai travaillé comme styliste d’arts de la table pour une entreprise événementielle. La pâtisserie est entrée dans ma vie quand je suis tombée malade à 18 ans. On m’a diagnostiqué une trentaine d’allergies alimentaires, dont les œufs, les produits laitiers et le gluten. J’ai dû complètement réapprendre à m’alimenter et à cuisiner. Étant passionnée par la pâtisserie, elle est devenue mon moyen d’expression privilégié. Après mes études, je suis partie à Hong Kong. C’est là-bas, lors d’une rencontre inattendue, que l’on m’a proposé le poste de cheffe pâtissière dans un restaurant entièrement végétal. Sans formation, ce fut un immense défi, mais j’ai tout quitté pour saisir cette opportunité. Imprégnée de ces expériences complémentaires, Luna s’est dessiné petit à petit à mon retour en France.
Comment est née l’envie d’exprimer ta créativité à travers la pâtisserie ?
C’est arrivé un peu par hasard. Étant un bec sucré, j’ai toujours aimé faire de la pâtisserie. Enfant, curieuse et créative, je fabriquais des objets avec tout ce que je trouvais : des couronnes de fleurs dans le jardin, des costumes en papier crépon, des stylos pailletés. Stylos, terre, paillettes, fleurs, crayons, peinture : tout devenait une opportunité de créer. La pâtisserie s’est imposée naturellement lorsque je n’ai plus pu en consommer ; je n’avais pas d’autre choix que de tenter de la réinventer. C’est devenu mon médium privilégié, celui qui offre une satisfaction simple et immédiate à travers le partage.
Ta grand-mère semble avoir joué un rôle déterminant concernant ton amour pour la pâtisserie ; peux-tu nous dire pourquoi ?
C’est avec elle que j’ai commencé à pâtisser très jeune. Mon frère et moi passions tous nos étés chez elle, dans le sud-ouest de la France. Ma grand-mère, qui cuisine très bien et de tout, m’a transmis bien plus que son amour de la cuisine. Elle m’a inculqué une grande curiosité pour tout ce qui nous entoure, et un brin de folie. Elle m’a légué un sens du partage, de l’exploration et de la fantaisie. Les deux mois passés chez elle chaque année étaient extrêmement riches. J’ai beaucoup appris à ses côtés : la céramique, le papier mâché, le patchwork, les herbiers, le jardinage… La cuisine en était une extension naturelle. On passait de nombreux après-midi à faire des gâteaux ensemble. Je garde de ces moments un souvenir nostalgique d’intimité, où elle partageait avec moi des fragments de sa vie. Naturellement, ces souvenirs m’ont fait associer la pâtisserie à quelque chose de très précieux.
En quoi tes études aux Beaux-Arts et ton background de styliste ont nourri ton approche de la pâtisserie ?
Ce parcours m’a permis de développer une grande ouverture d’esprit. Commencer la pâtisserie sans formation a été à la fois une force et une faiblesse. Bien qu’au fil des ans je me sois professionnalisée, ce parcours atypique m’a aidée à pousser ma créativité plus loin, probablement avec moins d’œillères. Je perçois encore mes ingrédients comme des peintures, des pinceaux, des crayons, avec le goût comme élément central.
Mon expérience en tant que styliste m’aide à imaginer et à visualiser mes pâtisseries dans son ensemble. Les mises en scène pour Luna sont très importantes, car j’aime l’idée de redéfinir l’image traditionnelle de la pâtisserie. Comme exemple tout simple, j’adore le bleu, une couleur rarement considérée comme alimentaire. Même si on me l’a souvent déconseillé, je travaille régulièrement avec cette couleur, et ce sont finalement les créations qui remportent le plus grand succès.
Que représente pour toi la pâtisserie végétale, et quel est son intérêt comparé à la pâtisserie traditionnelle ?
C’est un ensemble de facteurs. Pour moi, il est essentiel de s’intéresser à la pâtisserie et à l’alimentation végétale sans rejet ni préjugés. Ce domaine reste encore peu connu, notamment en France, et cristallise des interrogations. Elle offre pourtant un éventail de saveurs inédites. J’avoue que cela me plaît et m’amuse, cette sensation que tout est à explorer, que je peux innover. La pâtisserie végétale pousse à expérimenter, à surprendre et à découvrir de nouvelles saveurs et textures. Et rien n’est plus satisfaisant que de séduire une personne sceptique par la gourmandise !
Pourquoi avoir choisi de répertorier les recettes du livre par couleur ?
C’était ma première demande lors de mes échanges avec l’équipe éditoriale ! La couleur avait déjà une place centrale dans mes travaux aux Beaux-Arts, et je voulais prolonger cette vision personnelle dans le domaine de la pâtisserie. En proposant ce thème, je savais que cela m’aiderait à imaginer les recettes du livre, dont je souhaitais qu’il soit davantage un carnet d’inspiration, capable de surprendre et de sortir des codes habituels.
Tes recettes sont-elles accessibles à tous ?
Oui ! C’était vraiment l’idée de ce livre, car je sais que la pâtisserie peut sembler intimidante par sa complexité. Si l’on ajoute des éléments comme le végétal, le sans gluten ou le cru, cela peut décourager. En général, les recettes qui me plaisent sont les plus courtes. Je voulais montrer que l’on n’a pas besoin de beaucoup de matériel ou d’ingrédients pour réaliser de belles choses. Je suis convaincue que c’est par la simplicité que l’on peut éveiller la curiosité. Certaines recettes sont un peu plus complexes, mais elles restent toutes accessibles. La “dernière touche” (glaçage, enrobage, décoration) est souvent facultative et peut être réinventée à volonté. Chaque recette peut être appréciée telle quelle.
Y a-t-il une recette pour laquelle tu as une affection particulière, et pourquoi ?
La tartelette au citron. Elle incarne toute l’ingéniosité de la pâtisserie végétale. Lorsque j’étais à Hong Kong, mes parents sont venus me rendre visite et découvrir mes pâtisseries au restaurant où je travaillais. Ma mère est allergique à tous les types d’oléagineux, qui sont très présents en pâtisserie crue. Je me suis alors rendu compte qu’elle ne pourrait rien goûter. Après une longue nuit en cuisine, j’ai réussi à créer une recette de tarte au citron, son dessert préféré, qui soit végane, sans gluten et sans noix, rien que pour elle. Ce dessert est ensuite devenu l’un des best-sellers du restaurant.
Quelle est ta pâtisserie favorite à l’arrivée de l’automne ?
Le crumble, sans hésitation. Si je m’écoutais, j’en ferais tous les jours et à chaque saison. C’est le dessert parfait, à la fois simple et réconfortant. Dans sa version automnale, j’ajoute beaucoup d’épices (cannelle, cardamome, clou de girofle), que je mêle à des pommes et poires rôties.
Que représente la pâtisserie à tes yeux ?
La fantaisie, le partage, la créativité, le plaisir, la joie, l’émerveillement et le souvenir.
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HOME FOOD
Article à retrouver dans le HOME Food n°3 (automne 2024), disponible en kiosque
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