Une assiette d’argile, parfois la folie d’une finition mouchetée, et en son creux une nourriture simple mais éclatante, dans son goût comme dans ses apparats. Bienvenue à la table de Karen Mordechai. Née en Israël, la jeune femme désormais basée à Los Angeles a grandi avec sa famille à New York. De son enfance, Karen se souvient du mélange entre cette nouvelle vie outre-Atlantique et les traditions ramenées du Proche-Orient, en particulier celles liées à la cuisine. L’amour partagé autour de repas d’abondance ou les accords variés des plats de ses aïeux, à l’image de la Jérusalem multiculturelle des années 1950, l’inspirent encore aujourd’hui.
Si Karen a toujours gardé cet amour profond pour la food, c’est en 2009 que les choses s’accélèrent, quand avec son mari ils se décident à organiser leur premier Sunday Supper (“souper du dimanche” en français), auquel ils convient dix de leurs amis pour cuisiner et partager un repas concocté à base de denrées locales et de saison, le tout autour d’une belle table. Aujourd’hui, après dix ans de beaux festins et trois livres de recettes généreuses, Karen vient de lancer ILĀ, une marque de produits d’épicerie aux emballages soignés, tout en ouvrant ses dîners au reste du monde. Rencontre.
Des belles tablées des Sunday Suppers aux packagings léchés des ingrédients ILĀ, en passant par le stylisme des recettes de vos livres et votre blog : il y a toujours dans votre travail un lien entre l’esthétique et le goût…
Enfant déjà, j’ai toujours été attirée par la nourriture venant de beaux endroits, et j’ai depuis associé les deux. Je suis une personne très visuelle, je regarde les choses à travers des palettes, des tons et des textures. La nourriture est intrinsèquement belle, et une source d’inspiration constante. Pour ILĀ, je voulais créer une collection uniforme de produits d’épicerie à afficher fièrement dans sa cuisine. ILĀ signifie d’ailleurs “terre” et “beauté” en sanskrit.
Comment vous est venue l’idée de créer vos Sunday Suppers, ces dîners partagés et cuisinés collectivement à partir d’ingrédients frais et de saison ?
L’idée des Sunday Suppers a germé au printemps 2009, comme une opportunité de cuisiner et de partager un dîner avec des proches dans notre appartement de l’époque, à Brooklyn. Pour ce premier repas, nos meubles avaient été placés dans une autre pièce pour laisser la place à une longue tablée. Nous avons concocté un dîner avec nos dix amis, nous nous sommes assis pour le déguster, et avons passé un très bon moment. L’idée de ce premier repas s’est répandue rapidement et l’histoire des Sunday Suppers a débuté. Nous avons depuis ouvert notre propre studio dédié à la cuisine, collaboré avec des nombreux chefs, artisans et makers de talent.
Les Sunday Suppers prennent vie dans un décor soigné, où belle vaisselle, fleurs fraîches et matières nobles se rencontrent. Comment préparez-vous le stylisme de ces dîners ?
Je commence souvent par un concept ou un sentiment, que ce soit une saison ou une couleur, par exemple. À partir de là, il s’agit généralement de rassembler des céramiques, des tissus et quelques détails, comme des branches tout juste glanées. J’y ajoute des pièces de créateurs et de designers locaux que j’admire, sans trop surcharger mes tables.
Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Le genre de nourriture que nous aimons tous manger, saisonnière et pas trop sophistiquée. Je reste à l’écart des tendances, mon style est plutôt porté vers un retour à une nourriture goûteuse et honnête, qui réunit les gens.
Votre dernier projet en date est un cycle de dîners autour du monde, nommés “Sobremesa”, à travers lesquels vous invitez les amoureux de nourriture à recevoir à leur table, avec une cuisine généreuse, dans la lignée des Sunday Suppers. Qu’est-ce que ce mot signifie pour vous ?
Sobremesa est un terme espagnol qui se traduit vaguement par “le temps d’après-repas, quand la nourriture est partie, mais que la conversation autour de la table continue”. C’est partager la simplicité et l’amour du bien-manger, en somme. Ces rassemblements doivent être joyeux, décontractés, accessibles, et représenter les saveurs et l’esprit de chaque communauté, à l’image des Sunday Suppers.
Les organisateurs de ces dîners sont souvent des créatifs (directeurs artistiques, chefs, photographes, etc.). Pensez-vous qu’il y a un lien entre créativité et nourriture ?
Absolument ! La nourriture est une forme d’expression créative. Tous nos hôtes ont leur propre style, qu’ils apportent à leur dîner. Et c’est ce que nous aimons : voir comment le repas se transforme de table en table. Les invités viennent de tous les horizons, mais ils sont attirés par ces dîners car ils y partagent leur amour pour la nourriture et la convivialité. Souvent, ils suivent les Sunday Suppers depuis des années et sont excités d’assister à un repas dans leur propre ville.
Une partie de chaque dîner est donnée au projet caritatif The Hunger Project. Pourquoi est-ce important de conclure vos repas ainsi ?
The Hunger Project est un programme basé sur une approche novatrice et globale, qui responsabilise les femmes et les hommes vivant dans les villages ruraux à devenir les agents de leur propre développement et à progresser durablement pour vaincre la faim et la pauvreté. Il nous semblait plus qu’approprié de relier notre mouvement à ce projet caritatif également basé sur la nourriture et la communauté.