« Quand j’étais petite, je faisais de la poterie à partir de l’argile verte rapportée des chantiers par mon père, architecte », se souvient Kim Lê. Adulte, elle étudie l’architecture, puis travaille huit ans au Pavillon de l’Arsenal en tant que responsable des expositions. À l’été 2017, la jeune femme effectue un stage de tournage auprès de la céramiste Laurette Broll. Renouer avec la conception de petits projets lui fait un bien fou : « Le tournage était difficile, je voulais persévérer. » Par chance, l’atelier In Girum Céramiques (Paris, 4e arrondissement) propose des cours hebdomadaires, à deux pas de son travail. Au bout de trois mois, Kim aspire déjà à devenir céramiste ; elle quitte finalement son poste à l’automne 2019 pour se reconvertir.
À force de persévérance, elle décroche un local appartenant à la ville de Paris, dans le quartier de Clignancourt. Baigné de lumière, l’espace épuré donne sur la rue du Poteau (18e arrondissement). Au sol, la teinte du béton coulé fait écho à celle des bols exposés sur l’étagère. C’est ici que Kim crée et vend ses pièces minimalistes depuis le mois de juin dernier. « J’aime les formes simples : je fais de l’utilitaire, il faut avant tout que ma vaisselle soit solide », estime-t-elle. Pan essentiel de son activité, l’artisane donne aussi des cours d’initiation et enseigne la patience, la souplesse et l’humilité que le métier requiert. Car du tournage à la deuxième cuisson en passant par l’émaillage, les poteries peuvent se briser à tout moment.
Loin d’être une rupture, la reconversion de Kim semble naturelle. De son métier d’architecte, elle a gardé des habitudes. Avant de se mettre sur le tour, elle dessine les proportions d’une pièce. Le travail des volumes occupe également une place importante. Et alors qu’on lie souvent l’artisanat à un retour à la terre, Kim s’étonne que l’impact environnemental de la céramique ne soit pas encore questionné : « En France, on est loin de manquer d’argile, pourtant, les terres du commerce sont souvent fabriquées artificiellement et viennent d’Allemagne ou d’Espagne. Quant aux émaux, j’ai appris à l’école des Arts et Techniques Céramiques à les créer moi-même afin de maîtriser leur composition. » Un travail de fourmi à base de formules chimiques qu’elle expérimente chaque jour. Sur son plan de travail trône d’ailleurs un manuel dédié : elle aimerait concevoir un émail à base de cendre végétale.
Au quotidien, la céramiste veille à éviter le gaspillage et ne fait jamais chauffer un four à moitié plein. Pour tourner, elle utilise de la barbotine (une pâte d’argile délayée) plutôt que de l’eau claire. Et si elle travaille actuellement avec du grès de Puisaye, elle rêve de ramasser elle-même sa terre de temps à autre. À l’automne, elle s’est rendue en Bourgogne récolter deux kilos d’argile au bord de l’Armançon. « Je ne savais pas du tout quelle serait sa plasticité mais elle a une bonne consistance, elle est très douce et très agréable à tourner. Dans le meilleur des cas, je pourrai en faire dix tasses. » Qu’importe le résultat : pour cette artisane, savoir d’où vient la matière première donne une dimension réjouissante à son métier.
atelierkimle.com
Les inspirations de Kim Lê
Quel matériau vous fascine le plus ?
J’ai toujours apprécié le bois. C’est un matériau vivant, chaleureux et polyvalent. J’aimerais bientôt m’initier au tournage sur bois. La technique en soi est hypnotisante, et le processus de fabriquer un objet en créant du vide me fascine.
Quelle pièce a été pour vous la plus marquante ?
Une petite bouteille ronde et verte que j’ai réalisée quelques mois après le début de mes cours de tournage. J’étais tellement satisfaite que j’ai eu envie de retrouver cette sensation chaque jour en devenant céramiste.
Où puisez-vous l’inspiration ?
Dans les rituels du quotidien, l’artisanat traditionnel, l’architecture moderne, la culture rock et les voyages. Ce sont les histoires d’artistes engagés qui m’influencent en permanence.
Quelle adresse appréciez-vous dans votre quartier ?
J’aime beaucoup le nouvel atelier de céramique Établi, situé au 12 rue Calmels (18e arrondissement). Samantha Kerdine de Bonne Aventure et Marion Livran y encouragent une création joyeuse et décomplexée. J’ai également hâte de découvrir la Manufacture Sauvage, par Sarah Papon, qui ouvre bientôt au 3 rue des Amiraux (18e arrondissement).
Y a-t-il un restaurant pour lequel vous rêveriez de travailler ?
Ce serait le café du Teshima Art Museum, sur l’île de Teshima au Japon. Le bâtiment a été dessiné par l’architecte Ryue Nishizawa. C’est un endroit extraordinaire : fabriquer de la vaisselle pour leur café, ce serait un peu comme si j’y étais tout le temps.