Rencontre : tout savoir sur les bienfaits des bouillons grâce à Jennifer Hart-Smith

Pâtissière et naturopathe, Jennifer Hart-Smith pratique une cuisine de saison et de bon sens, mêlant connaissances techniques et conseils santé sans jamais sacrifier à la gourmandise. Avec ce sixième ouvrage culinaire, Bouillons bienfaisants, l’autrice nous plonge au cœur de ces breuvages aux mille et une vertus pour l’organisme. Échange avec cette Franco-Australienne qui conjugue le bon, le beau et le sain.

Par Hélène Lahalle - Photographies : Anaïs Boileau

Peux-tu nous rappeler ton parcours et comment tu en es venue à écrire ce sixième livre ?
Franco-Australienne, j’ai grandi en majorité en banlieue parisienne et un peu en Australie. J’ai étudié le graphisme et le design à l’École Boulle à Paris, puis travaillé quelques années dans des start-up avant de me reconvertir en passant un CAP en pâtisserie. Au bout de deux ans, à la naissance de mon deuxième enfant, j’ai suivi des études de naturopathie au Cenatho avec une mention complémentaire en phytologie (études des plantes et de leurs bienfaits associés). J’ai monté mon service traiteur à Paris et publié plusieurs livres, dont Le Manuel gourmand de la ménopause, coécrit avec Elvira Masson aux éditions du Seuil, et Épicerie naturelle maison, Desserts à la vapeur et Pâtisserie naturelle chez Marabout. Ce sixième ouvrage correspond à la vente de mon entreprise. J’ai eu plus de temps pour écrire, et une envie viscérale de creuser ce sujet qui me semblait vraiment à la lisière entre cuisine, gourmandise et santé.

Tu dis « chercher l’équilibre entre le bon, le beau et le sain sans rien sacrifier à la gourmandise », n’est-ce pas justement la définition d’un bon bouillon ?
Exactement ! Trop de courants « santé » ces dernières années ont divisé les gens, généré de la culpabilisation et de l’orthorexie (l’obsession de manger sainement et le rejet systématique des aliments perçus comme malsains). Nous bénéficions en France d’un accès exceptionnel à de bons produits, il est intéressant d’apprendre à leur donner la bonne place plutôt que de tout rejeter en bloc. Le bouillon, considéré comme un alicament, coche toutes les cases pour la santé. Mais il peut être insipide si l’on n’y apporte pas cette touche d’assaisonnement, de cuisine, de gourmandise, de générosité à la française, avec les bonnes huiles, épices, aromates et condiments.

Ce petit truc en plus qui fait qu’on prend du plaisir, qu’on ressent du bien-être, mais aussi de la délectation. Un bouillon est riche en saveurs complexes. La santé doit impérativement passer par le plaisir.

Comment en es-tu venue à consacrer un livre entier aux bouillons ?
À la toute genèse de ce livre se niche le sentiment d’un hiver interminable l’an dernier, sauvé par une présence quotidienne de bouillons en tout genre ! Plus je faisais des recherches dans les littératures gastronomiques et historiques, plus leur lien indissociable avec la nutrition, la santé et leurs vertus thérapeutiques se confirmait à travers le monde. Les bouillons maison sont une sorte d’alicament sapide et bienfaisant.

Le symbole même du réconfort, un appel viscéral du corps, mais aussi de l’âme. Ils réchauffent, hydratent, apaisent, nourrissent et soutiennent l’organisme. Traditionnellement, ils constituent une base de cuisine aussi ménagère que noble tout en étant vertueux, simples et accessibles à tous. Et ce, dans toutes les cultures gastronomiques du monde entier. Le sujet est d’ailleurs si universel, vertigineux et collectif qu’il m’était impossible de le traiter seule.

Quelle est sa vocation et comment en as-tu conçu la structure ?
Ce livre s’adresse à toute personne qui a envie de réconfort. Il se veut avant tout inspirationnel pour permettre à chacun de se lancer sans complexes. Les interviews des cheffes sont là pour donner des idées. J’ai répertorié les bouillons en fonction de leurs vertus préventives en les classant par tropisme : digestives, ostéoarticulaires, pro-âge, anti-inflammatoires… J’ai défini des chapitres de vie où l’on peut se sentir vulnérable (post-partum, convalescence, santé hormonale, mentale…) et où les bouillons peuvent apporter un soutien. Attention, il n’est pas question de « soigner » au sens curatif, mais bien de « prendre soin ».

En quoi ces breuvages sont-ils bénéfiques pour la santé ?
Au départ, un bouillon consiste à extraire le collagène, la glucosamine chondroïtine, les minéraux et les oligo-éléments des os, des cartilages et des légumes à travers des cuissons douces et longues. Puis l’envie est apparue d’en faire des supports aqueux gourmands encore plus bienfaisants. Certaines cultures, en Chine ou au Vietnam par exemple, poussent plus loin la dimension créative en enrichissantlesbouillonsetlessoupes de plantes, d’épices, d’adaptogènes et de super-aliments thérapeutiques. On ne trouve pas ou peu de vitamines dans les bouillons en raison de leur cuisson longue, mais leur apport en micronutriments est très important et offre une complémentation de fond sur le long terme.

En quoi sont-ils démocratiques ?
Parce qu’ils sont faciles à faire et qu’ils ne nécessitent pas de produits nobles. On utilise les légumes de fond de frigo, des oignons, des fanes, des carcasses, des arêtes de poisson… C’est une préparation accessible qui permet de recycler ce qu’on jette habituellement pour en infuser les goûts.

Quelle place occupent-ils dans ton alimentation quotidienne ?
Mes deux familles, en France et en Australie, ont toujours été adeptes des bouillons et des soupes. En France, j’ai souvenir de bouillons très riches ou de soupes à l’oignon, avec du thym, du laurier, et toujours un peu de beurre. En Australie, on faisait souvent des soupes de poulet et de riz chez ma grand-mère, les légumes n’étaient jamais mixés comme en France, ça mijotait longuement.

Ma tante qui venait de Hong Kong faisait des bouillons ou des soupes avec des pattes de poulet, des os, des ingrédients comme le jujube, du goji, et toujours beaucoup de gingembre. J’adorais leur dimension digeste. Aujourd’hui, ils sont présents quotidiennement dans ma cuisine, même l’été où je prépare des bouillons dashi ou de simples infusions de légumes et de plantes que je consomme froides et bien assaisonnées, avec une touche de citron ou de vinaigre.

Bien que naturopathe, tu accordes dans certaines recettes une place aux protéines animales, pour quelle raison ?
J’assume de laisser une petite place aux protéines animales et d’aller légèrement à contre-courant de ma formation. Je suis certainement influencée par la famille de mon compagnon qui vit en Aveyron, n’a jamais voyagé, jamais pris l’avion. Ils ont toujours fait pousser leurs légumes et consomment les animaux qu’ils élèvent ou qu’ils troquent. Leur bilan carbone est sans doute inférieur au mien ! Je ne me vois pas leur donner des leçons. D’un point de vue politique, s’il est vrai qu’une alimentation vertueuse, éthique et durable nécessite de limiter au maximum la viande et de privilégier le végétal, les animaux ont toute leur place dans l’agriculture d’aujourd’hui et de demain. La France est un grand pays de tradition d’élevage pastoral et extensif où persistent encore des fermes familiales ou des micro-fermes engagées dans des productions bio, avec des animaux qui se nourrissent en circuit court, d’herbe et de foin. C’est un modèle mis à mal, peu valorisé, qui souffre, mais qu’il me semble essentiel de soutenir. Le modèle de ces fermes familiales qui nourrissent la communauté locale est moins délétère pour la planète que la culture massive d’avocats, de coco ou de palme voués à l’exportation internationale.

As-tu le souvenir d’un plaisir gustatif mémorable laissé par un bouillon ?
Un bouillon avec de l’eau de mer, des algues et des œufs battus épaissis au kuzu, cette fécule qui donne une texture soyeuse ! On peut la remplacer par de la fécule de pomme de terre ou de maïs si on veut utiliser un ingrédient plus local. Un bouillon simple et délicieux, comme une caresse et une invitation à prendre le large…

Quelle est ta recette favorite pour aller vers le printemps ?
Le bouillon de radis noir pour faire un petit nettoyage du foie, s’alléger, et préparer l’organisme à la sortie de l’hiver !

tookies.fr
@jenhartsmith
@hachettecuisine

 

_____

HOME FOOD MAGAZINE
Numéro 5 (printemps 2025) – Tablées de printemps
7,50€

Découvrez le sommaire du numéro !
S’abonner à HOME Food (papier+numérique)