Hiromi, liberté créative

Avec Hiromi, Johanna de Clisson a ouvert une fenêtre dans son parcours créatif. Souhaitant s’investir dans une pratique artistique libre sans renoncer à son activité de directrice artistique, elle gagne quand bon lui semble son atelier du 9e arrondissement parisien. Là, elle donne vie aux objets en terre qu’elle esquisse dans son carnet de croquis. Rencontre.

Par Stéphanie Thiriet – Photographies : Élodie Villalon

Comment avez-vous commencé la céramique ?
C’était il y a trois ans. Avant cela, je suis allée à l’École des arts déco (ENSAD Paris) et j’étais photographe ; je peignais beaucoup à l’époque. Mettre les mains dans la matière me faisait vibrer, avancer. Puis en 2005, j’ai ouvert une agence dans laquelle j’ai pris le rôle de directrice artistique. Elle a très bien marché ; organiser des shootings, faire du branding m’a beaucoup plu. Mais j’ai voulu remettre les mains dans la matière, avoir plus de liberté. Alors, j’ai commencé des cours dans un atelier, un soir puis une après-midi par semaine. J’ai adoré. Juste avant le premier confinement, j’ai retapé un espace dans le 9e arrondissement où j’ai installé mon atelier, en septembre 2020. C’était parti pour Hiromi. L’agence et Hiromi, il n’y a pas d’avant/après ; je continue les deux, les deux se nourrissent et c’est important d’être toujours dans un cercle vertueux. Je vois plutôt l’avant et l’après 40 ans.

Il semble qu’avec l’expérience, le pourquoi prend le pas sur le comment…
Complètement. Il y a quelque chose de plus clair qui vient effectivement à certains moments. Quand j’ai lancé Hiromi, je n’avais pas de plan de collection, je ne m’étais pas dit que je ne ferais que du blanc. Il n’y avait pas de vision ; j’avais fait une forme, qui est une sorte de vague, qui s’appelle l’Objet 1 ; je ne voulais pas nommer les objets, c’est hyper important pour moi, parce que cela les ancrerait trop dans quelque chose, sans laisser de place à la projection que les gens pourraient faire. Je les nomme par des chiffres, comme les Becher, photographes qui nommaient ainsi leurs clichés. Hiromi, au début, je voulais l’appeler Nouvelle Vague, mais j’ai réalisé que ça sentait le marketing à plein nez. Le hasard a fait que j’ai rencontré quelqu’un qui s’appelait Hiromi. J’ai eu un flash sur ce prénom, que je trouve très beau, construit, ancré. Après, j’ai découvert que c’était une pianiste virtuose japonaise de 40 ans. Un mois plus tard, une journaliste m’a demandé ce que signifiait “Hiromi”, au-delà du prénom. Je ne m’étais pas plus posé la question que ça. On a regardé ensemble et, coup de chance, hiromi signifie “beauté libre d’esprit”.

Comment votre activité de directrice artistique nourrit-elle votre pratique chez Hiromi ?
La direction artistique, c’est beaucoup d’images, de tendances, de moodboards. Je vais voir les expos, je suis toujours à recherche des nouveaux talents. Toutes ces images forgent et affinent ma culture et mon goût. J’adore l’architecture ; d’ailleurs, Hiromi flirte avec mes inspirations architecturales. Quand j’étais photographe au tout début, j’adorais cette recherche systémique qui se retrouve dans le travail des Becher, Thomas Wrede, Candida Höfer [photographes allemands, ndlr], qui consiste à avoir des thèmes comme les théâtres ou les intérieurs de musée et d’en photographier plein partout dans le monde. J’essaie de penser en collections, en séries, avec des thèmes qui me sont chers : le blanc, essayer de ne pas être trop ornemental ni décoratif. Ce blanc que je mets partout crée une unité. J’adore la couleur ; sur mon moodboard à l’atelier, il n’y a que des inspirations en couleur, en laque, vert, à rayures, jaune. Pourtant, quand j’ai lancé Hiromi, la question de la couleur ne s’est pas posée : il fallait faire un reset qui passait par le blanc. Écarter l’étape de la couleur amène quelque chose de plus universel, plus accessible. Mes formes sont très simples : des sphères, des cylindres, des “carronds” (carrés arrondis), des ovales. L’accumulation de ces éléments de langage très simples laisse la place pour que chacun projette ses propres références culturelles.

Les objets que vous façonnez sont plutôt hors tendance, hors temps.
C’est totalement vrai. Je suis tellement nourrie de tendances, et j’ai l’impression (sans prétention, mais avec mes 20 ans de métier) de capter un peu l’air du temps. À chaque nouvelle création chez Hiromi, j’essaie vraiment, et c’est mon leitmotiv, de ne pas être dans la tendance ; d’être à contre-courant presque, de créer des lampes qui deviennent sculptures par leur non-transparence, des modules vagues qui s’utilisent à l’envi, en fonction des attentes. En ce moment, la tendance est au wabi-sabi, on est plus dans la main mais aussi parfois l’aléatoire, des formes molles, sentir le travail parfois imprécis de l’homme. Moi, j’aime que les choses soient très raides, rigoureuses, parallèles, ultra-abouties, très léchées. Je sais que ce n’est pas l’esprit du moment, mais peu importe.

Comment les façonnez-vous ?
Il y a souvent un démarrage avec des moules qui sont mes référents archétypaux (le rond, le carrond, l’ovale), qui me permettent de créer une unité dans tout ce que je propose. Il n’y a pas de règles, j’additionne certains moules à d’autres ; ou je les utilise pour eux-mêmes seulement. Je construis pas mal de choses à la plaque, et je fais parfois du colombin pour démarrer.

Et dans quelle terre ?
En faïence, et le côté grainé est apporté par la chamotte (en mettant du sable). Quand la pièce est sèche, on la gratte avec une estèque ou un outil pour faire sortir le grain. Ce côté texturé est important pour moi : il crée une profondeur. Ça donne un objet plus lourd, plus artisanal, plus “matiéré”, qui vient contrebalancer la simplicité des formes. Mettre du grain, comme pour les photos, apporte quelque chose de plus intime, crée de la proximité, de la réalité, du vécu d’une certaine manière. Les formes sont léchées et la texture, le rendu le sont moins. C’est moins design, un objet design étant, dans notre esprit, plus lisse.

Comment vous classer ?
Je n’aime pas être mise dans une case. On qualifie la proposition Hiromi de brutaliste, elle l’est dans le sens où ce n’est pas ornemental, que l’approche est assez radicale. Le brutalisme est une de mes grosses inspirations, mais pas que. C’est aussi japonisant, ultra playful. Pareillement, j’ai du mal à me définir céramiste ; j’ai démarré la céramique il y a trois ans, je ne suis pas du tout experte, je fais les choses que je sais faire. Je suis l’outil de choses que j’ai dans la tête. Actuellement, je suis en train de faire des choses avec du bois ; je ne sais pas si dans deux ans, je ne serai pas ébéniste. Tout est possible. Ce que j’aime bien, c’est dessiner une forme sur mon carnet et me dire qu’elle va émerger rapidement, sans devoir faire des prototypes et sous-traiter. Je ne veux surtout pas aller vers une production industrialisée.

@hiromi_objets

Les inspirations
de Johanna de Clisson

Quelle architecture/bâtiment vous plaît particulièrement ? J’ai découvert récemment la villa L’Ange Volant de Gio Ponti à Garches, je rêve d’y passer une nuit en été.

Quel est le premier cliché dont vous avez été particulièrement fière ? Un lustre baroque pris au moyen format pour mon diplôme de fin d’année aux Arts déco.

Avez-vous un livre d’architecture ou de photographie à recommander ? La laideur se vend mal de Raymond Loewy, aux éditions Gallimard, une véritable pépite.

S’il ne devait rester qu’un seul photographe, lequel serait-il ? Question difficile ! Mais je crois quand même que je trancherais pour les Becher. J’adore aussi, depuis longtemps, le travail de Sarah Moon.

Où partiriez-vous pour une escapade de quelques jours ? En Islande, pour dormir à la belle étoile dans des paysages lunaires.

Quel musée recommanderiez-vous ? Louisiana, à Copenhague, un endroit de toute beauté, mais aussi l’Atelier Brancusi à Paris, un lieu très inspirant pour moi.

Quel est votre objet design favori ? En ce moment je rêve du Minotaure, de Pierre Augustin Rose.

Quel serait votre projet rêvé ? Faire mon Eileen Gray, construire ma propre maison constructiviste au bord de l’eau, en faire les plans, tout concevoir. Et vous ?