Des raisins qui rôtissent dans le four, du basilic frais sur le balcon, le parfum solaire des olives et des anchois, et puis l’inoubliable trifle où l’on a plongé toutes nos cuillères : en trois recettes, la cheffe d’origine canadienne, Kaitlyn Reinhart, a exprimé l’essence de sa cuisine et de son langage créatif. Des goûts, des senteurs et des sensations où se rencontrent les souvenirs d’enfance, une inspiration couleur dolce vita, l’amour de la cueillette et de la nature. En plein cœur de Paris, Kaitlyn nous emmène ailleurs, là où l’été s’éclipse lentement pour laisser place à l’automne et à ses réconforts.
Comment la cuisine est-elle entrée dans ta vie ?
Elle a toujours été là, car j’ai grandi dans une maison où la nourriture était essentielle. Dans son potager, ma mère cultivait plein de légumes et d’herbes et mon père m’a transmis l’importance de l’esthétique d’un plat. Mes parents cuisinaient tout le temps et très bien, notamment des burgers garnis de galettes de viande mélangées aux herbes fraîches du jardin, accompagnés d’une salade César très relevée en ail. Puis, à 29 ans, de façon intuitive et en autodidacte, j’ai commencé à cuisiner professionnellement.
Depuis, quel a été ton parcours ?
J’ai d’abord cofondé une entreprise de jus de fruits pressés à froid qui s’est vite transformée en Otium, un petit café végétarien et végétalien situé dans le 9e arrondissement de Paris. Selon le philosophe français Michel Foucault, le terme latin d’otium fait référence au temps libre que nous dédions à notre bien-être intérieur, et cette approche résonne beaucoup en moi. Lorsque nous mangeons ou partageons un repas, je pense que nous devons être conscients de tout ce que la nourriture nous offre, pour notre corps, mais aussi pour notre épanouissement personnel et collectif. Manger ou cuisiner sont pour moi des instants de contemplation, d’introspection et de créativité. Aujourd’hui, mon activité se déploie entre des recherches personnelles, la création de recettes et de menus, et un peu d’évènementiel. Au fil du temps, ma cuisine est devenue de plus en plus esthétique, avec une scénographie qui accompagne la nourriture. La cuisine me permet d’exprimer ma personnalité, ma sensibilité et mon respect de la nature.
Peux-tu nous en dire plus sur ton lien à la nature ?
C’est un lien qui évoque mon enfance, car j’ai grandi près de Toronto, au milieu des champs et des forêts, et j’ai été végétarienne très jeune, ce qui insuffle aussi un autre lien à la nature, comme l’importance de cuisiner de saison. J’aime passer des mois avec certains légumes, leur accorder une pause, en accueillir de nouveau. Cela renouvelle ma créativité. Et puis, il y a les plantes et leurs saveurs qui me fascinent, car elles peuvent transformer un plat. Après la fermeture de mon café en 2020, j’ai eu un besoin physique et émotionnel de me connecter à la terre. Lors de voyages, j’ai commencé à faire de la cueillette sauvage et j’ai travaillé pendant six mois dans un jardin potager. Depuis, je n’ai pas arrêté de rencontrer et de travailler avec des agriculteurs ou cueilleurs professionnels.
Comment cultives-tu ce rapport précieux à la nature ?
Cet été, comme je ne vis pas encore à la campagne (mon rêve), j’ai décidé d’avoir mon petit jardin d’herbes aromatiques. Aller vers la plante, la couper et l’emmener dans la cuisine, c’est un processus important lorsque je cuisine, cela me permet de me sentir proche de la nature, tout en étant au cœur de Paris. Sur mon balcon, j’ai planté de la menthe au chocolat, du romarin, du laurier, de la marjolaine, du basilic et de la verveine citronnée, mon parfum préféré pour les infusions fraîches. Et hors de Paris, n’importe où dans la nature, je me sens vraiment apaisée, alors dès que je peux, je me mets pieds nus dans un champ, ou face à l’océan.
Un trifle aux figues et lemon curd, une scarole garnie… Pourquoi as-tu choisi ces recettes ?
Ma cuisine se nourrit de multiples influences. Je suis canadienne avec des origines irlandaises, donc durant mon enfance, j’ai découvert les classiques des desserts anglo-saxons, comme le angel food cake, les Hello Dollies, le trifle ou le Victoria sponge cake. J’ai également des racines allemandes et j’ai grandi dans une ville où l’immigration allemande est la plus importante au Canada. Nous aimions farcir de la laitue ou du chou, manger beaucoup de saucisses ou de la choucroute. J’ai été influencée par cela, mais ma cuisine de prédilection est méditerranéenne et je mélange souvent ces recettes avec une touche méridionale ! J’ai choisi ces recettes afin que nous puissions accueillir la saison automnale en douceur, tout en gardant des notes estivales dans nos plats. Les fruits de la fin de l’été et du début de l’automne s’y prêtent parfaitement, en particulier les figues et les raisins ! La crème du trifle est infusée aux feuilles de figuier car c’est ce que je préfère cueillir durant l’été. En frottant une feuille de figuier entre les doigts, on obtient un incroyable arôme de noix de coco, de poire et de vanille. J’adore ce parfum.
Comment cuisines-tu au quotidien ?
Mes habitudes alimentaires ont récemment changé lors de ma grossesse car – et c’est assez amusant – j’ai eu une aversion pour les légumes. Je ne pouvais plus manger que de la viande et des pommes de terre. J’ai toujours pensé que j’étais ouverte d’esprit en matière d’alimentation, mais le fait d’avoir été végétarienne pendant des années a en fait créé de nombreuses restrictions alimentaires. Désormais, je mange ce que je veux quand je veux (enfin presque, car j’allaite mon fils et il a des petits soucis digestifs, donc je dois être vigilante avec ce que je consomme), mais je garde surtout à l’esprit que tout doit être fait avec équilibre. Mon mari est un très bon cuisinier ; actuellement, c’est lui qui cuisine au quotidien. Nous gardons des légumes cuits et des fruits frais au frigo pour que cela soit simple de préparer une salade rapide à laquelle j’ajoute une protéine, ou du quinoa et des lentilles.
Quels sont tes futurs projets ?
J’aimerais développer une gamme de produits comme des thés, des épices et des vinaigres. J’aime le processus créatif et l’histoire derrière un produit de qualité.
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HOME FOOD
Article à retrouver dans le HOME Food n°3 (automne 2024), disponible en kiosque
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