Il est 10 heures ce matin quand je foule le macadam nantais tout en scrutant le ciel. La cheffe Sarah Mainguy m’a donné rendez-vous dans son nouveau restaurant, à deux pas de la cité des ducs de Bretagne. Je m’engage dans une grande tour et monte dans l’ascenseur. Les étages du parking, tout de gris, défilent sous mes yeux, et puis soudain, au sixième niveau, le vert s’empare du paysage. Comme une illumination : Freia.
Un restaurant dans le ciel
Là-haut, Freia domine le paysage. « C’est un lieu que j’ai tout de suite aimé, parce qu’on est proche du ciel et des éléments. Je vois la ville, mais étrangement, c’est comme si j’étais en pleine nature », nous confie Sarah, qui déambule entre les bacs potagers installés sur le parvis du restaurant, à la recherche de fleurs de vesce. La blette, majestueuse, semble vouloir se hisser plus haut que ses voisines de béton, tandis que livèche, avoine, menthe et coriandre forment un tapis végétal luxuriant. C’est à l’école Ferrandi puis à Paris, chez Holybelly et au Mary Celeste, que Sarah Mainguy fait ses premiers pas dans le monde de la restauration, avant de mettre cap à l’ouest en 2018, pour ouvrir Vacarme – restaurant/cave à manger de quartier – avec son compagnon. Dans sa cuisine de poche, la jeune cheffe mitonne des gamelles rythmées qui régalent Nantes, mais rêve d’ouvrir sa propre adresse. Son succès dans l’émission Top Chef (elle sera finaliste de la saison 12) est l’élan qui lui manquait pour se mettre en quête d’un lieu unique, propice à l’écriture de nouveaux imaginaires culinaires. Quand Sarah découvre au sommet d’un immeuble cette serre magistrale à laquelle la ville souhaite donner une seconde vie, les planètes s’alignent. En mars 2024, Freia, restaurant urbain tourné vers la nature et les saisons, est là.
̈ C’est un lieu que j’ai tout de suite aimé, parce qu’on est proche du ciel et des éléments. ̈
Raconter les paysages comestibles
« Quand je travaillais à Paris, je m’inspirais de tous les terroirs possibles. Arriver à Nantes, dans un endroit où le terroir est vraiment présent, m’a complètement transformée », raconte celle qui a grandi en banlieue parisienne. C’est chez Vacarme que Sarah découvre le plaisir de travailler en direct avec les producteurs : « Ma rencontre avec la maraîchère Alice Ménard a été un déclic. Pour être en accord avec mes valeurs, j’ai arrêté de me fournir chez les gros fournisseurs et je suis passée sur un approvisionnement 100 % local ! » Une dynamique que la cheffe poursuit chez Freia, où elle s’est entourée des produits de ses producteurs de cœur : les algues de Valérie et Jean-Marie Pédron, le miel des Ruchers du Pays Blanc, le gwell de la ferme du Bois-Joubert… sans oublier les merveilleux légumes d’Alice, cette maraîchère à qui Sarah a par ailleurs confié le soin de son jardin urbain.
Du bord de mer au jardin
Chaque dîner chez Freia est une balade sur la côte sauvage, les bords de Sèvre, l’île de Nantes : un paysage entre nature et ville pour lequel la cheffe partage son attachement, dans un repas en huit temps pensé comme une délicieuse déambulation. L’énigmatique menu posé sur la table fait office de balise au cœur de l’écosystème nourricier du restaurant, guidant le voyageur d’une assiette à une autre tout en cultivant l’effet de surprise. Ce soir-là, le bord de mer se dévoile au gré d’une assiette composée d’asperges blanches, sauce aux algues fumées, purée de pommes lactofermentées et câpres de sureau ; suivie d’une colonie de petits pois et bigorneaux, nageant dans une bisque d’étrille parsemée de poudre de gwell glacé et fleurs de ciboulette. Le voyage se poursuit au marché , car pour Sarah, « c’est ici que l’on ressent très fort les changements de saison». En souvenir du poulet rôti qui embaume les étals, la cheffe a imaginé un chou-rave cuisiné comme une pièce de viande, avec un petit pain brioché pour saucer le jus de graines de tournesol et la ravigote aux fleurs du jardin qui se prélassent au fond de l’assiette.
« La cuisine, ça doit être du divertissement et pas de la contemplation », commente Sarah, dont le menu fait alterner différentes manières de déguster pour le plaisir des sens, comme des bouchées à attraper sans complexe avec les mains ou un blini encore chaud à tapisser soi-même de beurre fumé. Dans la même veine, le chou fourré de crème pâtissière au miel qui nous emmène au jardin déborde inévitablement sur nos doigts, que l’on s’empresse de lécher, avec un plaisir enfantin. Ce n’est sûrement pas un hasard si ce dessert généreux est aussi un clin d’œil à l’époque où Sarah, adolescente, préparait des religieuses et des éclairs au chocolat pour sa famille : « Mon arrière-grand-père était pâtissier et avec mon petit frère, on avait récupéré toutes ses vieilles recettes, qu’on s’amusait à reproduire en boucle ! », se souvient-elle.
Manque à gagner
Vous ne trouverez ni épices ni fruits tropicaux chez Freia, qui a trouvé des alternatives locales à ces produits venus du bout du monde. Le verjus, ce jus acide issu de vendanges précoces, remplace astucieusement le citron dans les préparations, tandis que certaines plantes séchées – feuilles de cassis, frêne ou reine-des-prés – agrandissent de façon délicieuse le champ des assaisonnements. Il n’y a qu’à laisser son regard se perdre sur les étagères à l’entrée du restaurant pour deviner que chez Freia, on s’amuse bien ! Vinaigre aux racines de persil ou aux fanes de fenouil, huile aux chutes d’oignon, miso de pain, sirop de courge ou fermentation de parures d’artichaut constituent l’éventail infini et antigaspi dans lequel Sarah et son équipe piochent au quotidien, pour bousculer nos palais de délicieuses saveurs. « Rien à acheter, rien à jeter », s’amuse Jérôme, en charge de la carte liquide chez Freia, qui a fait des reliquats de cuisine sa matière première pour créer une gamme de softs aussi enthousiasmante que leur pendant alcoolisé. « La construction d’une boisson se fait comme un vin, en allant chercher des acidités et des amers qui se marient avec les plats. Les fermentations sont intéressantes parce qu’elles permettent d’apporter de la complexité et une certaine longueur en bouche », poursuit-il avant de nous présenter sa dernière création : un kéfir d’infusion de queues de fraise, aromatisé à la rhubarbe. Cet été, celles et ceux qui s’attableront chez Freia partiront explorer des lisières où poussent girolles et bourgeons de sapin ; s’aventureront sur des prairies de graines tout juste torréfiées ; et feront bien sûr un détour par l’Océan, car à Nantes, le souffle iodé de l’Atlantique n’est jamais bien loin.
Freia
22 boulevard de Berlin, 44000 Nantes
freia-restaurant.com
@freia.restaurant